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ARCHIVÉE - Le Fonds d'archives Glenn Gould

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Écrits

Gould et la culture de la stase variable

[Gould and the Culture of "Fluctuating Stasis"]

par Kevin Bazzana
Source

Traduit de l'anglais par la Bibliothèque nationale du Canada.

Le texte suivant est extrait du livre de Kevin Bazzana intitulé Glenn Gould: The Performer in the Work. Publié aux Oxford University Press à l'automne 1997, cet ouvrage est fondé sur sa thèse de doctorat en musicologie déposée à l'automne 1996 auprès de l'University of California à Berkeley.

L'extrait contient une section complète intitulée « Gould and the Culture of "Fluctuating Stasis" », tirée du chapitre 2 (« The Role of the Performer ») et traite de l'œuvre et des réflexions de Gould dans le contexte culturel des années 1950 et 1960.

Comme l'extrait vise uniquement à donner un aperçu du contenu du livre et non à se présenter comme une dissertation complète, les notes de bas de page ont été éliminées, sauf aux endroits où elles complètent de façon significative le texte principal. Le texte a été quelque peu modifié pour des raisons de clarté et d'autosuffisance.

Si les prémisses et les pratiques de Gould tirent leurs racines du romantisme et du néoclassicisme, le musicien était également, à bien des égards, un enfant de son siècle, un résultat des courants intellectuels sur les plans de la musique et de la culture qui ont existé durant sa vie professionnelle, surtout durant les années 1960. Il était extrêmement conscient de la place qu'occupaient ses réflexions dans la culture contemporaine et a fait de nombreux liens explicites entre son travail d'interprète et les idées « à la mode » de l'époque. Comme il l'a admis, sa sensibilisation aux questions historiques était plus marquée lorsqu'il s'agissait de son époque et, en effet, l'atemporalité, ou l'absence de méthode historique, qui était si fondamentale à sa réflexion et à son interprétation, trouvait son fondement dans la pensée contemporaine.

La vision que Gould avait de la musique, et du rôle créateur qu'il exigeait en tant qu'interprète, étaient un indice des mêmes forces culturelles qui ont inspiré (pour citer un exemple influent) le livre de Leonard B. Meyer intitulé Music, the Arts, and Ideas, publié pour la première fois en 19671. L'analyse de Meyer sur les forces culturelles offre un contexte approprié à l'esthétique de Gould, surtout à son idée que la culture occidentale, depuis environ la Première Guerre mondiale, a fait une place de plus en plus grande à une « stase variable – état stationnaire au sein duquel un nombre indéfini de styles, d'idiomes, de techniques et de mouvements existent à l'intérieur de chacun des arts ». Dans un film datant de 1974, Gould, en parlant de la vie musicale d'après-guerre, a indiqué que, pour lui, le mélange des styles représentait « l'avenir de la musique ». Ce point de vue remonte au début de sa carrière, du moins jusqu'à la composition de son quatuor à cordes, au début des années 1950, qu'il situe explicitement dans le contexte de la permissivité stylistique de l'époque. Dans une ébauche du commentaire rédigé en 1967 pour la radio, qui porte sur son quatuor à cordes, il écrit : « En tant que compositeur, je suis un faiseur de greffes, ce qui, à mon avis, est une façon élaborée de décrire une attitude envers la composition que certains qualifieraient d'éclectique, et d'autres, moins bien intentionnés, de dérivatif. » Il continue en parlant de la nature « schizophrénique » du quatuor, dans lequel la polyphonie de la Renaissance, la fugue baroque, la forme sonate-classique et la variation en développement de Schoenberg, entre autres éléments, coexistent tous au sein « du vocabulaire harmonique le plus démonstratif et le plus indulgent jamais inventé », à savoir le langage tonal très chromatique et contrapuntique de la fin du romantisme de Strauss, de Mahler, de Reger et du jeune Schoenberg. Gould n'a jamais, à ma connaissance, utilisé le vocabulaire postmoderniste contemporain, mais sa sympathie pour l'analyse de Meyer sur la « stase variable » peut se comprendre en ces termes. Dans son article intitulé « Post Modernism in Music », Jyrki Uusitalo parle de la tendance vers le mélange des styles comme étant une caractéristique de l'art postmoderne, et Jean-Jacques Nattiez a cité de façon convaincante le point de vue de Gould sur la question comme étant une preuve d'un esthétisme postmoderniste avant la lettre.

Comme Meyer le souligne, une des conséquences les plus importantes de la nature pluraliste du style musical contemporain est le rejet d'une vision téléologique de l'histoire de la musique, puisque toute l'histoire est, dans un certain sens, devenue également proche et accessible. Le rejet d'idées telles que le « progrès », la « mode » et « l'avant-garde » revient souvent dans les écrits et les entrevues de Gould; ce point de vue était important pour son esthétique, et un point qu'il débattait passionnément. Sur la Sonate en mi mineur, op. 7, de Grieg, qu'il refuse de dénigrer parce qu'elle était moins « moderne » que Tristan et Iseut (bien qu'elle en soit contemporaine), il écrit que le calendrier « est un tyran; la soumission à sa linéarité impitoyable, un compromis avec la créativité; la principale responsabilité de l'artiste, [est] une quête pour l'esprit de détachement et d'anonymat qui neutralise et transcende la chronologie intimidante qui leur fait concurrence ». Le rejet du progrès musical était, en fait, un aspect important sur lequel ses pensées différaient de celles de Schoenberg et de ses disciples, qui défendaient l'exactitude historique, même nécessaire, du dodécaphonisme. Gould insistait sur le fait que son admiration pour Schoenberg se limitait à ses réalisations en tant que compositeur et non à son statut de révolutionnaire2. De même, il pouvait également rejeter un compositeur (comme Monteverdi) dont il n'appréciait pas la musique, même si ce compositeur avait apporté une contribution importante à l'histoire du style. Il admirait les compositeurs qui restaient fidèles à leur style individuel malgré les courants musicaux de leur époque. Il s'est même fait un point de défendre le « révolutionnaire » Schoenberg et le « réactionnaire » Strauss. Même si son affection pour la musique de Strauss était sincère, on peut douter que, lorsqu'il a écrit de Strauss, dans un article rédigé en 1962, qu'il était « le plus grand personnage du monde de la musique de ce siècle », il parlait non pas tant de ses œuvres que de la position implicite de ce dernier contre l'idée de progrès de la musique. Dans le même article, il termine en disant :

La musique de Richard Strauss a cela de bon qu'elle présente et justifie un argument qui transcende tous les dogmatismes de l'art, toutes les questions de style, de goût et d'idiome, toutes les préoccupations frivoles et stériles du chronologiste. Elle nous donne un exemple de l'homme qui a apporté une richesse à son époque en n'étant pas de celle-ci; qui a parlé pour toutes les générations en n'en connaissant aucune. C'est l'argument ultime de l'individualité, un argument voulant que l'homme peut créer sa propre synthèse du temps sans pour autant être lié aux conformités que le temps impose.

(Il défendait Sibelius, Hindemith et d'autres « réactionnaires » en utilisant des termes semblables.) Il rejetait le concept d'un Zeitgeist qui pouvait prouver ou réfuter la justesse d'un produit artistique : tout comme les circonstances historiques n'affectaient pas la nature d'une œuvre, elles n'affectaient pas sa valeur. C'était avec force protestations qu'il condamnait « la tyrannie de la collectivité stylistique », « les éléments combatifs » dans les diverses « factions » stylistiques de son époque, et même lui n'a jamais été préoccupé par le fait d'être ou de paraître contemporain; il critiquait particulièrement les premiers écrits et les premières déclarations de Boulez, qui prétendait que seul le compositeur de musique sérielle pouvait revendiquer la pertinence.

Dans sa conférence de 1963, intitulée « Forgery and Imitation in the Creative Process, Gould a minimisé l'importance de l'innovation et de l'invention, et a même nié la possibilité d'une vraie originalité dans le développement du langage musical, exactement les aspects soulignés dans les idéologies qui affectionnent le progrès musical. Il a discuté de ces idées plus souvent dans un contexte historico-critique lors de polémiques contre l'idée de progrès musical que dans un contexte philosophique, mais sa position était quand même cohérente avec sa vision idéaliste (ou platonicienne) de la musique. Comme Renée Cox l'a écrit en 1984 :

Il y a eu une réapparition intéressante récemment de l'idée voulant que les œuvres d'art en général, et les œuvres musicales en particulier, se situent au niveau de l'existence éternelle plutôt qu'au niveau de l'existence temporelle et que, par conséquent, elles sont indépendantes des artistes et de tous les autres esprits humains. Ainsi, ce que nous appelons le processus de composition ne serait pas un processus de création, mais bien de découverte ou de sélection.

Gould lui-même s'est montré un véritable idéaliste lorsqu'il insistait sur le fait que les réalisations créatrices « originales » avaient une dette envers la musique ancienne, et qu'il voyait davantage de concessions mutuelles entre la création et la découverte dans l'acte de la composition. Dans la conférence, il a insisté sur le fait que la musique était écrite au moyen de l'imitation, de l'ornementation, du développement et de la transformation d'éléments reçus dans de nouveaux contextes. (Schoenberg a soulevé un point similaire lorsqu'il a fait référence à la dodécaphonie comme étant une découverte au lieu d'une invention.) Dans d'autres mémoires rédigés à la même époque, Gould écrit (pour paraphraser André Malraux à propos de la peinture) que « la musique est réellement à propos d'autres musiques »; « Toute musique est possible grâce à d'autres musiques »; « Tout art est réellement une variation d'une certaine autre forme d'art »; de sorte qu'une œuvre d'art vraiment « originale serait méconnaissable ». Et il fait l'éloge des époques et des cultures durant lesquelles les idées d'originalité et d'individualité étaient moins prisées qu'elles ne l'ont été dans l'histoire de la musique occidentale. De même, Meyer constate que « les changements radicaux au niveau de l'idéologie qui se sont produits au cours du XXe siècle ont fait de la recherche de la nouveauté quelque chose d'incongru », puisque « l'idée de progrès et de développement dialectique ont fait place à un ahistorisme neutre. » À son tour, Uusitalo a soulevé la même question en des termes explicitement postmodernistes et, du point de vue de Nattiez, l'atemporalité et la vision de la musique de Gould placent ce dernier autant parmi les postmodernes que parmi les Romantiques ou les modernes.

L'analyse faite par Meyer des origines et de la nature de l'idéologie de la stase variable jette la lumière sur le point de vue esthétique de Gould. Meyer retrace le pluralisme qui caractérise la culture contemporaine jusqu'à ses origines dans les grands changements épistémologiques et dans l'idée que l'histoire et la connaissance ne sont pas des faits objectifs, mais plutôt des constructions qui reflètent nécessairement un point de vue actuel; l'idée de la neutralité de l'histoire, que tout passé coexiste comme des possibilités toujours présentes sur lesquelles l'artiste, l'écrivain ou le compositeur peuvent s'inspirer; la tendance vers le formalisme qui résulte du fait de ne voir aucune distinction entre le passé et le présent et qui, de ce fait, enlève l'aspect du temps de l'identité de l'œuvre. Toutes ces positions sont compatibles avec le point de vue de Gould sur la nature de la musique et sur le rôle de l'interprète, et il approuvait fortement les pratiques artistiques qui confirment cette condition pluraliste et historique3.

Meyer croyait, en fait, qu'un des problèmes importants de son époque était d'aborder le relativisme et le pluralisme; cette position s'est fait sentir davantage durant la période qui a suivi la rédaction de Music, the Arts, and Ideas. La contrepartie de ce problème au niveau de l'art est la façon « d'aller de l'avant » dans une situation statique dans laquelle le concept d'avant-garde n'a pas de vraie signification. C'est assez courant dans les cercles musicaux depuis les dernières décennies de se plaindre de l'état ossifié de l'interprétation conventionnelle. Comme l'écrit Will Crutchfield :

Aucune plainte n'a été entendue plus souvent, au cours des dernières années, que celle voulant qu'il y ait une pénurie de nouveaux violonistes, pianistes, chanteurs et chefs d'orchestre vraiment intéressants pour interpréter le répertoire standard. La plainte est fondée. Dans la lignée générale de jeunes diplômés de conservatoires sobres et de jeunes lauréats (sobres) dont j'entends régulièrement les débuts à New York, la règle est l'exactitude prudente. L'interprétation que font les solistes de concert en milieu de carrière laisse l'impression mortelle qu'ils accomplissent leur boulot, ce qui aggrave souvent l'absence d'un message musical significatif. Il y a bien sûr des exceptions; la règle, cependant, est déconcertante.

Gould était très sensibilisé à cette situation et il n'est pas exagéré de dire que son approche de l'interprétation se résume à une tentative pratique pour l'étudier. Son rapport avec le canon classique occidental et les idées conventionnelles sur la pratique de l'interprétation était empreint d'une conscience de soi, une conscience qui impliquait une recherche de la nouveauté dans une situation relativement statique. On peut observer bon nombre de ces efforts dans la pratique musicale occidentale des dernières années : l'invention constante de nouveaux styles de composition; la renaissance de pratiques d'interprétation historiques; la fusion de styles étrangers et populaires avec la musique « sérieuse »; et la recherche de nouveaux répertoires dans les recoins auparavant sans importance de la musique occidentale, comme dans la renaissance (surtout depuis la mort de Gould) d'obscures répertoires romantiques, y compris la musique de salon. Des efforts conscients de ce genre ont couramment été faits dans des domaines comme la critique théâtrale et littéraire : la « mission » de Gould reflétait clairement des conditions culturelles plus étendues. Son point de vue sur l'œuvre musicale et sur le rôle de l'interprète rappelle les conceptions du texte et de la critique dans la plupart des théories et des critiques littéraires poststructuralistes, surtout concernant les tendances, telle la Nouvelle critique de Roland Barthes du milieu des années 1960, qui correspond avec sa propre carrière après-concert. Umberto Eco a reconnu une tendance vers l'ouverture, l'ambiguïté et l'indétermination dans la critique littéraire, du moins depuis le début des années 1960. Vers la fin des années 1980, ce dernier écrit qu'il a observé que, « au cours des dernières décennies, nous avons été témoins d'un changement de paradigme au niveau des théories de l'interprétation textuelle », ajoutant que, après un aperçu des critiques des lecteurs des années 1960 et 1970, une telle « insistance sur le moment de la lecture, provenant de différentes directions, semblait révéler une conspiration heureuse du Zeitgeist  ». À la fin des années 1970, Susan R. Suleiman a écrit :

On pourrait invoquer bien des raisons justifiant ce changement de perspective... Toutefois, même à première vue, il est évident que l'intérêt que l'on porte actuellement à l'interprétation et, dans un sens large, à la réception de textes artistiques ainsi que littéraires, cinématographiques, picturaux et musicaux est un aspect de la tendance générale pour ce que les Français appellent les sciences humaines (l'histoire, la sociologie, la psychologie, la linguistique, l'anthropologie), ainsi que pour les disciplines humanistes traditionnelles de la philosophie, de la rhétorique et de l'esthétique. Récemment, toutes ces disciplines ont évolué vers l'autoréflexion en questionnant et en rendant explicites les hypothèses à la base des méthodes de la discipline et, simultanément, du rôle de l'enquêteur en vue de délimiter, voire de constituer l'objet de l'étude.

L'œuvre de Gould, rien moins que les tendances littéraires comme la critique des lecteurs, peut être comprise à la lumière du même changement de paradigme non seulement à partir de ses prémisses esthétiques et son interprétation particulière, mais également à partir de son attitude consciente et polémique envers son domaine d'activité.

La façon que Gould avait « d'aller de l'avant » était de soumettre le répertoire canonique standard et les pratiques conventionnelles d'interprétation du répertoire classique à des critiques personnelles radicales. Certaines de ses interprétations les plus excessives, surtout compte tenu de sa conscience de lui-même qui le portait à se conduire mal, laissent supposer des efforts visant à réajuster les normes et les catégories acceptées, à persuader les auditeurs d'élargir les limites acceptées. Bon nombre de critiques ont remarqué cet aspect de son interprétation et ont fait observer que ses intrusions créatives avaient tendance à être plus importantes dans des œuvres canoniques telles que les sonates de Mozart et de Beethoven, pour lesquelles les conventions sur les plans de l'interprétation et de l'exécution sont implantées plus profondément. Ce que Gould appelait « la distorsion délibérée du texte » sur le plan de son interprétation avait généralement l'intention controversée d'offrir une nouvelle audition exactement là où c'était le plus difficile. Stanley Fish, critique littéraire et théoricien, a remarqué qu'une nouvelle position (ou paradigme) sur le plan de l'interprétation « est annoncée comme une coupure avec l'ancienne, mais, en fait, elle dépend entièrement de l'ancienne, car c'est uniquement en tenant compte du contexte de certaines différences de relations qu'elle peut être perçue comme nouvelle, ou qu'elle peut être tout simplement perçue ». Un des buts de Gould était d'amener au premier plan une telle conscience de soi comme une problématique en musique, de faire en sorte que ses révisions délibérées de points de vue conventionnels soient évidentes. Il a parfois indiqué clairement qu'il savait comment « devaient se jouer » les pièces avec lesquelles il expérimentait. Dans son deuxième entretien télévisé avec Burton en 1966, il a utilisé l'exemple de la Sonate en si bémol majeur, K. 333, de Mozart pour démontrer le contraste entre une interprétation « correcte » et une interprétation plus « déformée » qu'il a utilisée dans son approche de la pièce et qu'il a été possible d'entendre lors d'une émission télévisée au réseau anglais de la SRC en 1967. Au cours du même programme, il a déclaré à Burton, en parlant de la Sonate, op. 109, de Beethoven, que l'obligation de l'interprète moderne était de recomposer les œuvres canoniques de cette façon. Une telle attitude d'autoréflexion envers les canons et les conventions est une caractéristique de l'artiste, de la critique ou de l'œuvre postmoderne, et une partie des réalisations de Gould avait été d'explorer les conséquences de cette position sur l'interprétation musicale.

Lors d'une émission radiophonique diffusée à la SRC le 23 juillet 1970, il a révélé qu'il était conscient de la place qu'occupaient ses opinions dans l'histoire. Au cours de cette même émission, il a discuté de son interprétation d'une pièce assez étonnante : la Sonate no 3 en si mineur de Chopin. Dans l'entrevue préparée d'avance qui a suivi, qui comprenait une section préparée sur bande portant sur les tendances musicales de la décennie qui venait de se terminer, Gould a situé sa décision d'entreprendre cette œuvre non caractéristique dans le milieu très intellectuel analysé par Meyer. Parmi les aspects de la scène musicale des années 1960 dont a parlé Gould, il y a eu le déclin du sérialisme, la persistance de la tonalité, l'électronique, la renaissance d'Ives et de Mahler, la rencontre de l'Est et de l'Ouest et le phénomène « Switched On Bach » et, en fin, la Sinfonia de Berio, une « musique d'inclusion multiple » appuyée d'aucune théorie qui, pour Gould, représente une œuvre dont le message pluraliste résume la décennie. En ce qui concerne la sonate de Chopin, il a reconnu que ses priorités habituelles en ce qui a trait à l'interprétation étaient à l'opposé d'un style approprié ou, du moins, conventionnel pour l'interprétation des œuvres de Chopin, surtout quant à sa préférence pour une continuité rythmique qui ne permettait pas la flexibilité exigée par les œuvres importantes de Chopin. Il a déclaré que, au cours des années 1950, il a délaissé Chopin à cause de son incapacité de réconcilier la musique de ce dernier avec son esthétique. Mais, à partir de 1970, il a tiré son inspiration de la liberté et du pluralisme qui avaient caractérisé de nombreux aspects de la musique contemporaine et qui, selon lui, pouvaient être étendus correctement à l'interprétation d'œuvres canoniques. Dans un climat culturel dans lequel « chaque œuvre d'art est, en fait, réduite à son potentiel comme source d'une autre œuvre d'art », on s'inquiète moins de « l'acceptabilité » des pratiques anachroniques flagrantes et on « commence à s'inquiéter du résultat de certaines sortes de croisement esthétique ». Pour Gould, le climat culturel, que certains considéraient comme chaotique, mais qui, pour lui, était libérateur et source d'inspiration sur le plan de la création, a prouvé la justesse de son expérience. L'interprétation de la sonate qui a résulté s'inspire des mêmes principes rythmiques que ses interprétations d'œuvres baroques et classiques : il a refusé d'utiliser les changements conventionnels de tempo afin d'articuler les groupes de thèmes4 et a appliqué sa pratique habituelle d'explorer les voix intérieures aux dépens de la primauté de la mélodie lyrique. Par la suite, Gould n'a pas jugé que les résultats de l'expérimentation avaient été concluants dans ce cas, et avec raison : l'interprétation (sauf peut-être sa maigre finale moto-perpetuo) est, en fait, plutôt dépourvue d'intérêt, et permet certainement très peu de comprendre Chopin. Mais c'est la forte envie de faire l'expérience en soi qui a été très révélatrice.

Sur le plan de l'interprétation, Gould exigeait certaines libertés créatrices accordées habituellement uniquement aux compositeurs et, lorsqu'il se situait dans le milieu culturel, il se ralliait plus souvent aux compositeurs, sur les plans intellectuels et de tempérament, qu'avec ses pairs interprètes. (Peu de pianistes l'ont suivi volontiers très loin dans sa réflexion sur le canon.) Il a certainement été influencé par certaines tendances en composition musicale au cours des années 1950 et 1960. Il considérait que les « documentaires radio contrapuntiques » qu'il faisait pour la SRC dans les années 1960 et 1970 étaient des compositions musicales selon les normes contemporaines, par analogie aux œuvres contemporaines telles que Gesang der Junglinge (1956) de Stockhausen, qui sont fondées sur du matériel audio non orthodoxe. Il était conscient de l'importance des mots dans la nouvelle musique des années 1950 et 1960 et il a reconnu avait été influencé par les observations de Marshall McLuhan sur le sujet. En fait, en approuvant l'idée que non seulement la parole, mais aussi tous les sons étaient de plus en plus acceptés comme matériel valide pour la musique, Gould se rapprochait étonnamment d'un autre fervent admirateur contemporain de McLuhan, John Cage.

Il est également possible de retrouver l'attitude de Gould envers l'exécution dans un mémoire rédigé en 1962 par Eco, intitulé « The poetics of the open work ». Eco traite des œuvres de Stockhausen, d'Ekerio, de Pousseur et de Boulez qui sont « ouvertes » (au sens propre, non fini) dans le sens que l'interprète est nécessaire pour assembler la forme finale de l'œuvre en choisissant parmi certaines parties données; par définition, de telles œuvres n'ont pas de forme fixe. Mais Eco continue en énonçant une condition culturelle plus large dans laquelle l'ouverture est « la possibilité fondamentale de l'artiste ou du consommateur contemporain »; l'œuvre explicitement « ouverte » reflète simplement une tendance plus générale vers l'ouverture de l'interprétation des œuvres d'art. Gould n'était pas un défenseur du réarrangement au sens propre des parties d'une œuvre, bien entendu, mais il défendait cette ouverture par les aspects d'une œuvre considérée de façon traditionnelle comme inviolée, un point de vue qui, à nouveau, l'unit étroitement avec certaines tendances des critiques poststructuralistes de son époque (et du nôtre). Par exemple, dans ses écrits de 1966, Barthes a analysé les conditions culturelles en des termes similaires à ceux de Meyer et d'Eco :

La définition même de l'œuvre change. Elle n'est plus un fait historique, elle devient un fait anthropologique, puisque aucune histoire ne peut épuiser sa signification. La variété de significations n'est pas une sorte d'approche relativiste aux mœurs humaines; elle ne désigne pas la tendance que la société a de se tromper, mais une disposition vers l'ouverture; l'œuvre renferme simultanément plusieurs significations par sa structure, et non comme résultat de certaines lacunes chez les personnes qui la lisent… L'œuvre propose, l'homme dispose.

Les expériences de Gould sur le plan de l'interprétation reflétaient également les mêmes conditions qui ont encouragé bon nombre de compositeurs contemporains à cannibaliser le passé afin de créer de nouvelles œuvres, même davantage que leurs prédécesseurs néoclassiques. Comme Robert P. Morgan l'écrit :

La nature extraordinairement fragmentaire de bon nombre de compositions contemporaines, qui est évidente, par exemple, dans l'utilisation répandue de la citation et dans la tendance vers la pastiche, trahit l'absence d'un centre commun. Bien qu'elle ait été prévue par Stravinsky (l'événement concomitant inévitable de sa vision historique) et par d'autres précurseurs comme Ives et Satie, ce n'est que récemment que la tendance a atteint des proportions épidémiques. Chez des compositeurs aussi disparates que Luciano Berio, Bernd Alois Zimmermann, Lukas Foss, Peter Maxwell Davies et George Rochberg, nous entendons des extraits fragmentés de musiques existantes, qui ont été arrachées de leurs contextes originaux et rassemblées dans un nouveau contexte en des configurations ressemblant à un collage. Privés de leur signification originale, qui était dépendante d'un contexte structurel total, ces fragments reçoivent une nouvelle signification dans laquelle le prétexte de totalité et d'intégration est largement abandonné. Un contexte purement synthétique est créé là où aucun autre contexte « naturel » n'existe.

Le remaniement des œuvres canoniques par Gould était, en un sens, également une appropriation de la musique, pas uniquement une réalisation de celle-ci – un apport de sa réflexion personnelle et contemporaine à la musique. Ses interprétations, même les plus radicales, n'équivalaient presque jamais à une réécriture ou à un arrangement, bien que certains critiques aient utilisé ces termes; pourtant, il y a une certaine validité dans la critique, qu'il acceptait, voulant que certaines de ses interprétations méritaient une double attribution (« Mozart-Gould »). Les musiciens de son époque, tels que Cage et Boulez, disaient souvent que le modèle de « musée » de la musique, le canon retranché des « chefs d'œuvre » musicaux, exerçait une influence écrasante sur la musique contemporaine, y compris sur la composition. Le refus de Gould d'être « correct » durant une prestation, tout comme le désir ardent de Boulez pour l'« amnésie », reflétait le désir d'un créateur d'être libéré des conventions.

Mais, parmi tous les facteurs qui ont influencé l'esthétique ouverte de Gould pour ce qui est de l'interprétation et de sa relation avec le canon classique, le plus important était peut-être la technologie de l'enregistrement5. Il était très préoccupé par les conséquences de l'enregistrement sur la composition, l'interprétation et la réception de la musique. En fait, au sujet de l'enregistrement, sa réflexion était considérablement plus moderne, voire prophétique, que celle de bon nombre de penseurs de son temps. Meyer, par exemple, comme bien d'autres, a rejeté l'idée que la technologie de l'enregistrement puisse modifier de façon fondamentale les prémisses de la musique; il considérait cette technologie comme un simple véhicule pour la dissémination d'interprétations conventionnelles. Mais Gould a suivi les répercussions de l'idée de McLuhan, qu'il a résumées dans son expression populaire « le médium est le message », voulant dire que le contenu d'un médium exerce moins d'influence que le changement de gamme, de rythme ou de modèle que le médium lui-même impose sur les affaires humaines. Bien que Gould ait critiqué parfois le vocabulaire à la mode de McLuhan et certaines de ses analyses particulières, y compris la distinction qu'il faisait entre les médias « chauds » et les médias « froids », il a adopté plusieurs de ses idées importantes sur la nature et les conséquences au niveau social des médias électroniques. Il a insisté sur le fait que la technologie électronique affectait les modes de la vie musicale professionnelle de plusieurs façons importantes, et il critiquait les musiciens qui y résistaient.

Pour Gould, les conséquences de l'enregistrement s'étendaient même à la conception de ce qui constitue une œuvre musicale ou une interprétation intégrale. En cela, il était considérablement plus radical que les auteurs sur l'esthétique de la musique comme Stan Godlovitch, pour qui la coupure et les autres caractéristiques des interprétations enregistrées « compromettent l'intégrité de l'exécution », du moins « d'un point de vue traditionnel ». Mais, comme Gould l'a souligné, les conséquences de la technologie sur les œuvres musicales et l'interprétation étaient négatives uniquement si l'on supposait que l'interprétation de concert devait rester la norme. Pour lui, l'enregistrement avait créé un art musical distinct avec ses propres impératifs et ses possibilités, et dans lequel les normes d'intégrité pertinentes aux salles de concert ne s'appliquaient pas. D'abord, bien que l'enregistrement semble vouloir fixer un moment dans l'histoire, il est en fait une entreprise fondamentalement atemporelle, car les normes de temps réel ne s'appliquent pas à la création d'œuvres enregistrées. Comme l'a indiqué Gould, en 1966, « Les médias électroniques sont portés à extraire leur contenu de la date historique »; un enregistrement n'a pas besoin d'être une carte postale d'une interprétation de concert. Selon les termes de McLuhan, un enregistrement est une production « modulaire » ou « cubiste », un « labyrinthe » auquel la conception « linéaire » ou « pré-einsteinnienne » du temps dans le médium concert n'est pas pertinente6. En somme, la condition atemporelle dans laquelle Gould pensait que les œuvres musicales devraient être envisagées était, à son avis, améliorée par le processus d'enregistrement.

De plus, il croyait que l'enregistrement avait des conséquences importantes sur le plan du rôle de l'interprète. Tout comme Cage qui, à partir des années 1930, insistait sur le fait que l'électronique avait changé les règles de base pour les compositeurs, Gould insistait sur le fait que « l'enregistrement modifiera à jamais nos notions de ce qui convient pour l'exécution de la musique7 ». D'abord, il croyait que l'enregistrement permettrait à l'interprète de prendre des risques sur les plans des techniques et de l'interprétation qui ne rapporteraient rien durant un concert, et il a rejeté la doléance courante voulant que l'enregistrement inhibe les interprètes. De plus, Johanne Rivest a fait remarquer que l'enregistrement élargit en soi le rôle de l'interprète, relativement à celui du compositeur et de l'auditeur, et accroît l'attention portée sur l'interprétation. Gould semble avoir reconnu ce fait lorsqu'il a dit, dès 1959, qu'il préférait l'enregistrement au concert parce que c'était un processus vraiment plus créateur. (Sa discographie corrobore ses dires : son interprétation des œuvres enregistrées dans son studio est invariablement plus créative, malgré ce que l'on peut en penser, que ses interprétations de concert enregistrées, ou même que ses interprétations à la SRC.) Gould a fourni un modèle pratique pour faire valoir son point de vue : nous pouvons toujours dire de ses interprétations qu'elles semblent toujours fraîches. Il a été jusqu'à laisser entendre que l'enregistrement exige de l'interprète qu'il « recrée l'œuvre, qu'il transforme l'acte d'interprétation en un acte de composition8 ». En d'autres mots, le lien entre ses idées sur l'interprétation et le milieu culturel et intellectuel de son époque était renforcé uniquement par les développements simultanés des médias électroniques.

En outre, Gould estimait que le fait d'enregistrer exigeait une esthétique créatrice de l'interprète moderne du canon classique. Étant donné que bon nombre d'interprétations conventionnelles d'œuvres canoniques sont maintenant conservées en permanence, les interprètes de ces œuvres ont le choix, même le devoir, d'être créateurs. Il croyait que l'exposition de base du répertoire canonique avait déjà été faite, et il a souvent fait remarquer qu'une personne n'avait aucune raison d'enregistrer une œuvre connue à moins qu'elle n'ait une nouvelle interprétation distincte et révélatrice à en offrir9. Il est tentant de reconnaître son point de vue : il y a, et il y aura toujours, de nombreux enregistrements conventionnels de la cinquième symphonie de Beethoven dans les magasins de disques, pour ne pas parler des salles de concert; il est difficile de ne pas être désespéré lorsqu'on est en face d'encore une autre interprétation d'une œuvre familière qui nous rappelle simplement comment « est jouée » la musique. Gould a puisé un fait curieux de sa situation historique. Il est bien ironique que ce soit durant la période musicale d'après-guerre, à l'ère de l'enregistrement, que la fidélité à l'œuvre soit devenue un principe aussi répandu. Si jamais une époque romantique était nécessaire, ce serait maintenant, alors que l'enregistrement a libéré les interprètes de l'obligation de perpétuer les interprétations conventionnelles. On aurait pu défendre le besoin de telles interprétations il y a cent ans, alors qu'une personne entendait rarement une pièce de musique donnée, et seulement en concert. Pourtant, il y a cent ans, il était plus courant que l'interprétation soit très individualisée. L'enregistrement devrait libérer réellement plutôt qu'inhiber l'interprétation musicale et, s'il n'y parvient pas, même aujourd'hui, c'est parce que nous n'avons pas pleinement saisi ses conséquences sur la vie musicale. Mais Gould les a saisies et sa mission en tant qu'homme solitaire à une époque romantique en a été le résultat.

Références

1. Le livre de Meyer n'apparaît pas parmi les effets personnels de Gould conservés à la Bibliothèque nationale du Canada.

2. C'est un des thèmes principaux de l'allocution faite en 1964 intitulée : « Arnold Schoenberg: A Perspective », et réimprimée dans The Glenn Gould Reader.

3. Dans une entrevue enregistrée en 1964 (qui n'a jamais été publiée ni diffusée), il cite en exemple Ludwig Diehn, riche musicien amateur de Washington (D.C.), qui a écrit des symphonies dans le style de Bruckner et qui les a fait enregistrer en privé. Il a interviewé Diehn lors de son documentaire radio à la SRC, en 1965, intitulé Dialogues on the Prospects of Recording.

4. Dans le premier mouvement, on remarque l'utilisation que fait Gould du même tempo pour le thème d'ouverture (noire = 89) et le deuxième thème lyrique interprété en majeur relatif, commençant à la mesure 41 (noire = 87). Le traitement rythmique qu'il fait des principaux groupes de thèmes dans l'exposition semble avoir été suffisant pour soulever sa question polémique, et il ne maintient pas un tempo strict, au sens propre, tout au long du mouvement.

5. Le manifeste de base de Gould sur ce sujet est le mémoire qu'il a rédigé en 1966 et qui s'intitule « The Prospects of Recording », réimprimé dans The Glenn Gould Reader.

6. McLuhan a appliqué ces termes à son propre style d'écriture et aux médias électroniques comparativement au livre traditionnel (La toute première phrase de The Gutenberg Galaxy indique qu'il « développe une mosaïque ou une approche par domaine à ses problèmes » : les sections du livre peuvent être lues dans n'importe quel ordre.) À cause de l'approche en « mosaïque », ou « modulaire », ou « non linéaire », de McLuhan, qu'il a également observée dans une grande partie de la littérature du XXe siècle (Joyce, Dos Passos, Burroughs), ses écrits sont parfois cités comme étant la quintessence postmoderne, quelque chose pouvant être dit du processus d'enregistrement par opposition à l'interprétation de concert.

7. D'ailleurs, Cage différait de Gould du fait qu'il préférait utiliser la technologie de l'enregistrement comme une sorte d'instrument de musique plutôt que comme un moyen de fixer les interprétations.

8. Cette attitude peut expliquer certains aspects de la discographie de Gould. Par exemple, il n'a jamais enregistré la Sonate en mi bémol majeur, op. 81a, (Les Adieux) de Beethoven ni la Sonate en la majeur, op. 101, deux œuvres dont il a particulièrement fait l'éloge. Cette situation peut s'expliquer par le fait qu'il n'a tout simplement jamais trouvé l'angle de l'interprétation qui, selon lui, justifiait de faire un nouvel enregistrement. Et vers 1970, il a abandonné l'idée d'enregistrer le cycle de sonates de Scriabin après la parution des jeux complets par Hilde Somer et Ruth Laredo, pour des raisons similaires. Par contre, il consacrait un temps considérable à enregistrer des œuvres pour lesquelles il avait une piètre opinion (la Sonate « Appasionnata » de Beethoven, la Sonate en si mineur de Chopin, certaines sonates que Mozart a composées plus tard dans sa carrière) pour lesquelles il estimait qu'un point d'interprétation important s'imposait. Il faut mentionner que, à cet égard, Gould ne faisait face à aucune contrainte extérieure concernant son choix de répertoire, puisque Columbia CBS et la SRC le laissaient libre de jouer ce qu'il voulait, y compris des œuvres de moindre viabilité commerciale.

9. À maintes reprises, Gould a insisté, avec une attitude défensive compréhensible, sur le fait que ces nouvelles interprétations devaient faire valoir un point; l'excentricité pour elle-même ne suffisait pas.

Source : Glenn Gould : the performer in the work : a study in performance practice
Kevin Bazzana. -- Oxford : Clarendon Press ; Oxford ; Toronto : Oxford University Press, 1997. -- xxi, 297 p., 8 p. of plates : ill., music ; 24 cm + 1 sound. -- ISBN 0198166567
© Kevin Bazzana. Reproduction autorisée par Kevin Bazzana, la succession de Glenn Gould et Glenn Gould Limited.
nlc-5459

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