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Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada
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RÉSERVES ET OBSERVATIONS DE M. ARTHUR SURVEYER SUR LA RADIODIFFUSION, LA TÉLÉVISION ET L'OFFICE NATIONAL DU FILM*

LA RADIODIFFUSION

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1.   Il est rare que cinq personnes puissent arriver à des conclusions absolument identiques sur les divers aspects d'un problème donné. C'est particulièrement le cas quand ces cinq personnes, venant de diverses parties du pays, vivant dans des milieux différents, n'ayant pas reçu le même genre de formation et poursuivant des carrières très variées, doivent étudier un grand nombre de questions controversées comme celles qui étaient soumises à notre Commission. En outre, tout au long de l'histoire des commissions royales, et en Angleterre surtout, ce n'est qu'exceptionnellement qu'un rapport a rallié l'unanimité parmi les commissaires.

GRIEFS DE LA RADIODIFFUSION PRIVÉE

2.   On peut résumer de la façon suivante les principaux griefs formulés par les représentants de la radiodiffusion privée contre les pouvoirs exercés par le Bureau des gouverneurs de Radio-Canada qu'ils estiment autocratiques :

a)  Refus de permettre aux postes privés de diffuser des émissions en réseau ou de conclure des accords avec les réseaux de radiodiffusion américains ou avec des postes américains indépendants.
 
b) Refus de permettre la diffusion d'émissions FM différentes des émissions AM d'un poste, ou de recommander la délivrance de permis de télévision à des postes privés pris individuellement.
 
c) Refus de recommander la délivrance de permis à des postes privés pour plus d'un an, ce qui donne un certain caractère d'insécurité aux capitaux investis dans les postes et restreint la dépense de fonds pour l'amélioration des installations ou celle des émissions.
 
d)  Pouvoirs excessifs accordés au Bureau des gouverneurs de Radio-Canada, pouvoirs qui, si d'aventure on les exerçait sans mesure, pourraient acculer la plupart des postes privés à la banqueroute.

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e) Les articles du règlement que les représentants de la radiodiffusion privée jugent particulièrement gênants sont ceux qui imposent des restrictions à la radiodiffusion en réseau, l'obligation pour les postes privés de réserver du temps pour les émissions d'envergure nationale, la réglementation de la réclame commerciale et les restrictions à l'emploi de disques et de transcriptions.
 
f) Les représentants des postes privés s'objectent aussi à la concurrence active que, pour se procurer la réclame commerciale et les auditoires, leur livre la Société Radio-Canada qui agit simultanément à titre d'organisme de réglementation et de contrôle des postes privés d'une part, et, de l'autre, à titre de concurrente de ces postes.
 
g) L'inexistence d'un organisme de réglementation indépendant exerçant son autorité à l'égard de tous les postes canadiens de radiodiffusion, y compris ceux que possède la Société Radio-Canada, et ayant le pouvoir de forcer celle-ci à se plier à son règlement.

3.   Cette requête préconisant la création d'un organisme de réglementation indépendant constitue la principale question qui oppose les postes privés et Radio-Canada. Elle a été présentée à diverses reprises par la majorité des postes privés. Elle a été appuyée, aux audiences de la Commission, par des groupements représentant les hommes d'affaires du pays qui ont invoqué le principe selon lequel personne ne doit agir en même temps à titre de contrôleur et de concurrent, de juge et de litigant dans une cause. La création d'un organisme de réglementation indépendant a soulevé l'opposition des associations bénévoles, qui ne comprennent pas toutes les conséquences de la loi relative à la radiodiffusion mais craignent qu'un changement quelconque au statu quo ne réduise le nombre ou n'abaisse la qualité des émissions de Radio-Canada auxquelles elles s'intéressent tout particulièrement. Ces associations bénévoles redoutent également la pénétration toujours plus grande des émissions américaines et le volume de la réclame que cette formule de radio admet, ne se rendant pas compte que Radio-Canada est, pour ainsi dire, seule importatrice d'émissions américaines amenées au Canada par les « lignes terrestres » louées des entreprises de télégraphie.

4.   Depuis l'établissement de notre Commission, il a été fait droit à certains des griefs énumérés ci-dessus, notamment grâce à la prolongation de la durée des permis de radiodiffusion, d'un an à trois ans, et à la permission accordée provisoirement à certains postes de diffuser des émissions FM différentes des émissions AM du même poste. Toutefois, le grief fondamental demeure, et c'est celui qui a trait à l'existence d'un organisme de réglementation indépendant

5.   Mes collègues estiment qu'enlever à la Société Radio-Canada ses pouvoirs de réglementation pour les confier à un organisme indépendant et laisser à Radio-Canada le simple rôle d'un organisme d'exploitation

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ayant pleine autorité sur ses réseaux et ses émissions, serait fatal à l'oeuvre de la radio nationale. Ils recommandent que les postes privés jouissent du droit d'appel, à un tribunal fédéral, des décisions rendues par le Bureau des gouverneurs de Radio-Canada. Cette proposition, toutefois, ne tend pas à résoudre le problème fondamental des relations entre Radio-Canada et les postes privés. Le Bureau des gouverneurs deviendrait un tribunal de première instance, plutôt que de dernière instance comme à l'heure actuelle, mais il resterait juge dans sa propre cause.

6.   Parce que la Cour d'appel serait appelée à décider d'une question sur laquelle le Bureau des gouverneurs se serait déjà prononcé, il s'ensuivrait inévitablement que l'affaire serait préjugée en faveur de la décision des gouverneurs. En outre, la plupart des causes présenteraient des aspects techniques qui échapperaient à la compétence du tribunal, même si celui-ci recourait à l'aide occasionnelle d'experts. Enfin, la majorité des questions portées en appel exigeraient des décisions rapides qu'on ne peut attendre d'aucun tribunal de justice à cause des lenteurs de la procédure.

LA RADIO NATIONALE

7.   La plupart des associations bénévoles, qui ont témoigné en faveur du régime actuel d'exploitation et de réglementation de la radiodiffusion, ne se rendent pas compte du rôle des postes privés ni des conditions où ils fonctionnent, soit en réseau, soit isolément. Elles ne savent pas qu'en 1932, lors de l'adoption de la loi canadienne de la radiodiffusion, il existait déjà 70 postes privés fonctionnant en vertu de permis délivrés sous le régime de la loi du radiotélégraphe. Ces radiodiffuseurs particuliers s'étaient chargés, à leurs risques et périls, de tous les travaux préliminaires qu'entraîne l'établissement d'une nouvelle industrie. Les frais préliminaires, dans un domaine aussi nouveau que la radiodiffusion, durent être particulièrement lourds, et l'organisme d'État put profiter pleinement de l'expérience technique acquise par les radiodiffuseurs et les fabricants particuliers, économisant ainsi beaucoup d'argent sans doute.

8.   Le grand public a tendance à mésestimer l'importance des postes privés dans le cadre de la radio nationale. Il existe, à l'heure actuelle, 150 postes de radiodiffusion au Canada, dont 15 appartiennent à Radio-Canada et 135, soit les neuf dixièmes du total, à des particuliers. Les trois réseaux de Radio-Canada comprennent 14 postes de Radio-Canada et 68 postes locaux affiliés, plus environ 20 postes affiliés supplémentaires. Par conséquent, l'ensemble de la radiodiffusion nationale se compose de 102 postes, dont près de 86 p. 100 relèvent de l'entreprise privée.

9.   Dans un mémoire soumis à notre Commission aux audiences d'Ottawa, le président du Bureau des gouverneurs de Radio-Canada, exprimant son opposition à la demande que présentait la Canadian Association of

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Broadcasters en vue d'obtenir la permission de constituer ses propres réseaux, révéla par le fait même l'importance des postes privés:

« On ne pourrait tenter l'expérience du fonctionnement en réseaux privés que si l'on retirait des postes des réseaux de la radio nationale. Il en résulterait des vides dans le rayonnement de la radio nationale et une diminution des services qu'elle rend. De fait, elle perdrait son caractère national. »

10.   Sans aucun doute, si la Société Radio-Canada ne pouvait plus compter sur les postes privés qui lui sont affiliés, elle remplirait difficilement ses fonctions d'éducation et d'unité. Elle perdrait probablement une partie de ses recettes commerciales brutes, qui dépassent maintenant quatre millions de dollars par année. (Radio-Canada fait connaître ses recettes commerciales nettes, déduction faite des versements aux postes affiliés et aux agences, mais avant déduction des frais généraux et des frais d'exploitation). Nous soutenons, pour notre part, que les dispositions que nous décrivons ci-dessous ne bouleverseraient pas la radio nationale, ainsi que semble le craindre le président de la Société Radio-Canada, parce que les postes privés seraient obligés de demander à un organisme de l'État la permission de constituer et exploiter des réseaux privés.

11.   Afin d'apprécier judicieusement les services rendus par les postes de Radio-Canada et ceux que rendent les postes privés, il faut établir une distinction entre les fonctions que la loi de la radiodiffusion impose à la première et les restrictions que les nécessités financières imposent à l'activité des radiodiffuseurs privés. Aucun poste privé ne pourrait adopter, pour ses émissions, une ligne de conduite semblable à celle de Radio-Canada ou à celle que suggèrent certaines associations, sans tomber dans des difficultés financières. La dissemblance est comparable à la différence existant entre la méthode britannique et la méthode américaine. En Grande-Bretagne, où les possesseurs de postes récepteurs fournissent les fonds en vue des opérations de la radio, l'objectif est de donner aux gens ce qu'il est bon de leur fournir; aux États-Unis, où les radiodiffuseurs doivent acquitter toutes leurs dépenses à même leurs recettes, la ligne de conduite consiste à donner aux auditeurs ce qu'ils désirent. Radio-Canada s'efforce de suivre la ligne de conduite de la B.B.C. tempérée par l'obligation de diffuser des émissions commerciales et par les exigences des commanditaires de ces émissions qui, vu l'importance du revenu brut qu'ils apportent ($4,316,000 l'an dernier) tentent parfois d'imposer leur volonté à Radio-Canada.

12.   On est porté à sous-estimer l'importance de la publicité dans la vie économique de la nation. L'un des problèmes les plus graves qui se posent au Canada tient à l'exiguïté de son marché domestique, par comparaison avec sa productivité. Le philosophe américain se trompait quand il proclamait: « Les gens se fraieraient un chemin à travers la forêt jusqu'à votre porte si vous fabriquiez une meilleure souricière ». Il ne se rendait

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pas compte que, pour vendre des marchandises, il faut faire connaître aux gens l'existence, la qualité et l'utilité possible de ces marchandises. Ainsi que le notait H. A. Overstreet, dans The Mature Mind: « À la base d'une économie hautement productive, se trouve le procédé consistant à faire connaître aux gens ce qui est produit » (1) . À ce propos, on pourrait peut-être poser en principe que les postes privés font la réclame des marchandises de production canadienne, tandis que les émissions commerciales en réseau de Radio-Canada servent surtout à annoncer des marchandises américaines, fabriquées soit aux États-Unis soit dans les usines canadiennes des sociétés américaines.

LES ÉMISSIONS ÉDUCATIVES AUX ÉTATS-UNIS

13.   Si l'on excepte peut-être certaines émissions éducatives des réseaux américains, qu'on entend parfois aux réseaux de Radio-Canada, nous n'entendons pas les émissions diffusées par les institutions américaines d'enseignement. Cette question des émissions éducatives « ou de service public », comme on les appelle parfois, a une très grande importance, et il n'est pas hors de propos d'examiner ici ce qui se fait aux États-Unis, avec l'espoir d'en tirer des leçons applicables au Canada. Les données citées ici proviennent d'un ouvrage publié en 1946 sous ce titre: Radio the Fifth Estate, par Judith C. Waller, directrice du Service public, Division centrale de la National Broadcasting Company. En outre, Mlle Waller cite souvent, dans son livre, une publication intitulée Education on the Air, qui, apparemment, paraît tous les ans depuis au moins 1930, probablement à Washington. Fait qui étonnera sans doute les Canadiens, à une certaine époque, probablement dans les années 20, il existait aux États-Unis 202 postes privés appartenant à des universités, des collèges, des écoles. En 1945, cependant, ce nombre était tombé à 26, mais il est à la hausse depuis et s'établit maintenant à environ 40; ces postes, qui appartiennent à des collèges ou des universités, diffusent des émissions éducatives. En outre, la F.C.C. est saisie de 20 demandes de permis pour des postes de ce genre. Ces postes, subventionnés de diverses façons, sont classés par la F.C.C. à titre de " postes de radiodiffusion non commerciaux, dont le permis est accordé à une institution d'enseignement qui entend faire, sans but lucratif, des transmissions au public d'émissions éducatives et récréatives " (2) .

14.   La Federal Communications Commission était créée en 1934 pour remplacer la Federal Radio Commission, organisée en 1927. Les exploitants du domaine commercial, à l'époque où la F.C.C. fut organisée, s'efforçaient d'améliorer leurs émissions éducatives et faisaient preuve d'un plus grand désir de collaborer avec tous les organismes publics ainsi qu'avec les écoles elles-mêmes. Par conséquent, il semblait moins nécessaire de réserver une proportion fixe de temps ou d'ondes aux « institutions d'enseignement et aux organismes éducatifs de l'État ». Néanmoins, la F.C.C.

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décida que la collaboration en matière d'enseignement entre les radiodiffuseurs et les groupes intéressés devait relever de la surveillance immédiate de la Commission elle-même. En conséquence, on créait en 1935 un nouvel organisme, nommé Federal Radio Education Committee, composé de 40 membres (effectif maintenant réduit à 15) et représentant les postes à but éducatif, les éducateurs indépendants, les réseaux et les postes locaux et commerciaux à but éducatif (3).

15.   Le poste de radiodiffusion éducative le plus ancien des États-Unis est celui de l'université de Wisconsin, fonctionnant sous la direction de la Division de l'enseignement radiophonique, l'un des services réguliers de l'université. Un Faculty Radio Committee, composé de sept représentants des diverses facultés de l'université : musique, agriculture phonétique, agit à titre d'organisme de consultation et d'orientation à côté du poste. Il établit le programme de ses émissions en songeant d'abord aux auditeurs, puis aux services que les émissions peuvent rendre à l'université, sans oublier, évidemment, que les bonnes émissions constituent une bonne publicité. Ainsi que le déclarait le directeur du poste WHA de l'université de Wisconsin, M. Harold B. McCarty: « Le poste éducatif cherche à améliorer le goût public et à élever le niveau des désirs existants, au lieu de se borner à les satisfaire... Comme les universités cherchent toujours à atteindre de nouvelles vérités et de nouvelles interprétations, les postes éducatifs peuvent se proposer le même but » (4).

16.   Un certain nombre de ces postes éducatifs ont abandonné les émissions AM pour les remplacer par des émissions FM, à cause de la qualité supérieure de la réception (le récepteur de fréquence modulée, en effet, ne transmet pas les parasites). « Certains États, notamment le Michigan, ont été jusqu'à établir un dispositif permettant d'établir un réseau FM s'étendant à tout l'État, afin que chaque école puisse fournir un genre particulier d'émissions au programme quotidien. De cette façon, on peut maintenir un programme d'émissions bien équilibré et plein d'intérêt. D'autres États ont manifesté l'intérêt que suscite chez eux ce genre de service. Il semble que, grâce à ces moyens nouveaux, la radio éducative ait enfin trouvé sa formule » (5).

17.   Revenons au problème canadien et, en particulier, aux émissions diffusées par les postes privés. On a convenu que ces postes jouent un rôle utile dans l'activité de la collectivité, mais on les a blâmés de ne pas donner plus d'émissions qu'on peut qualifier d'éducatives. « Une émission éducative, a-t-on dit, est celle qui tend à relever les normes du goût, à accroître les connaissances utiles, à porter les auditeurs à se livrer à une activité digne de mention. Bref, une émission éducative est celle qui contribue à orner l'esprit de l'auditeur » (6).

18.   À un certain moment, on a proposé au Sénat des États-Unis que chaque poste de radiodiffusion consacre au moins 15 p. 100 de son temps à des fins éducatives. Aucune loi n'a été adoptée en ce sens, mais la loi

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relative à la délivrance des permis " a été interprétée de façon à lui faire édicter qu'une certaine proportion des émissions doivent être d'ordre éducatif ou culturel, ou mériter tout autre qualificatif indiquant qu'il ne s'agit pas de distraction pure et simple " (7). Il n'existe pas d'obligation de cette sorte au Canada, et les postes privés en profitent, mais on peut prétendre que, transmettant gratuitement toutes les émissions éducatives de Radio-Canada, les postes affiliés contribuent, dans une mesure substantielle, à l'efficacité de la diffusion de l'éducation sur le plan national.

19.   Les postes privés ont été pris à partie également parce qu'ils ne favorisent pas assez le développement des talents locaux. Il est juste d'ajouter qu'on a soulevé la même critique, bien qu'en termes plus doux, contre Radio-Canada, sous prétexte que Radio-Canada n'organise pas assez de ses émissions musicales en dehors des grands centres. Même un centre important de radiodiffusion tel que Québec a prétendu, à nos audiences, que Radio-Canada le néglige. On voit par là qu'il n'est pas facile d'utiliser les artistes du cru dans les petites collectivités, d'abord parce que, en général, ils sont rares; ensuite, parce que ce n'est pas économique. À ce sujet, il y a lieu de rappeler le témoignage présenté aux audiences de Montréal par un des représentants de la Canadian Marconi Company :

« L'emploi de ces artistes (locaux) serait à désirer mais non pas au point de diffuser à l'excès des émissions assurées par des personnes d'un talent peu développé, qui sont plus à leur place dans une salle de pratique privée ou la salle des fêtes d'une école. D'un autre côté, un poste bien dirigé ne doit pas sacrifier tout le reste de ses disponibilités à la rémunération d'un nombre trop considérable de professionnels. Il faut comprendre que quatre ou cinq musiciens et un chanteur coûtent au moins $150 pour une émission d'un quart d'heure. Deux quarts d'heure de cette sorte par semaine représentent plus de $15,000 par année. Sauf un très petit nombre, les postes canadiens ne peuvent dépenser ainsi de telles sommes, s'ils veulent donner un appui effectif aux autres formes de l'activité communale. D'autre part, seuls les grandes villes peuvent fournir ce nombre d'artistes qui sont vraiment du niveau
professionnel
 » (8).

20.   Il n'y a aucun doute que certains postes privés, surtout ceux des grandes villes, font beaucoup d'argent. Mais, en 1948, 27 p. 100 des postes de la Canadian Broadcasters Association ne pouvaient joindre les deux bouts, et les autres, soit 73 p. 100, qui ont réalisé des profits, faisaient une moyenne nette, une fois les impôts acquittés, de $17,300 par année. Naturellement, il est impossible de dire si ces postes étaient bien administrés ou de se rendre compte si les propriétaires touchaient des salaires exorbitants ou raisonnables. Néanmoins, on voit par là qu'il n'est pas très logique de compter que les postes privés tombent de propos délibéré dans les déficits afin de produire des émissions éducatives ou artistiques du genre de celles que les sociétés bénévoles réclament de Radio-Canada. Il vaut mieux que les postes privés consacrent la plus grande partie

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du temps libre dont ils peuvent disposer à l'encouragement des diverses formes de l'activité communale. L'Australian Broadcasting Act de 1948 reconnaît qu'on ne peut s'attendre que les postes privés perdent de l'argent dans l'intérêt public; cette loi autorise l'Australian Broadcasting Control Board « à fournir une aide financière aux postes de radiodiffusion commerciaux afin de s'assurer que des émissions d'une durée, d'une norme et d'une variété suffisantes soient fournies aux régions que ces postes desservent ».

RECOMMANDATIONS TENDANT À LA CRÉATION D'UN ORGANISME DE

RÉGLEMENTATION INDÉPENDANT

21.   Je ne peux approuver la demande que présente la Canadian Association of Broadcasters en vue d'obtenir la permission de conclure des accords relatifs à la radiodiffusion ou à la télévision avec des réseaux ou des postes américains, non plus que son désir d'organiser des réseaux distincts sans l'autorisation de la commission de réglementation proposée ci-dessous. Je crois, toutefois, que la justice élémentaire exige qu'on fasse droit à la demande visant à l'établissement d'un organisme de réglementation indépendant.

Je recommande en conséquence:

a) Que la loi canadienne de la radiodiffusion soit modifiée de façon à prévoir la création d'un organisme de réglementation indépendant, ayant autorité et compétence sur l'activité des postes de radiodiffusion et de télévision qui appartiennent à l'entreprise privée aussi bien que sur ceux qui relèvent de l'entreprise d'État, et que cet organisme, qui fera rapport au ministre des Transports, soit connu sous le nom de Commission canadienne de régie de la radiodiffusion et de la télévision.
 
b) Que les personnes s'occupant de radiodiffusion ou de télévision au Canada, et qui pourraient être atteintes directement d'une façon défavorable par une décision finale de ladite Commission dans toute question au sujet de laquelle cette Commission exerce une autorité finale, aient le droit d'en appeler à un tribunal fédéral de tout déni de justice important.
 
c) Que l'on reconnaisse aux personnes s'occupant de radiodiffusion et de télévision au Canada le droit de recevoir avis que la Commission de réglementation doit étudier des questions qui les intéressent directement, et le droit de se faire entendre sur ces sujets, en personne ou par l'intermédiaire d'un avocat, et, sur demande, en audience publique.

22.   Afin d'éviter les difficultés auxquelles eut à faire face l'Australian Broadcasting Control Board, peu après qu'il eut repris les fonctions de l'Autralian Broadcasting Commission, on a exprimé l'avis qu'il y aurait lieu de s'efforcer de définir avec autant de précision que possible les fonctions modifiées de Radio-Canada et de son Bureau des gouverneurs, ainsi

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que les fonctions attribuées à la Commission de régie de la radiodiffusion et de la télévision dont la création est proposée. Les paragraphes qui suivent ont pour objet de résumer les fonctions respectives de l'organisme d'exploitation et de l'organisme de régie. Cependant, on n'y tente pas de refaire la rédaction de la loi canadienne de la radiodiffusion.

FONCTIONS RESTREINTES DE LA SOCIÉTÉ ACTUELLE

23.   La Société Radio-Canada demeurerait, en qualité de simple organisme d'exploitation, munie de tous les pouvoirs que lui confère l'article 8 de la loi canadienne de la radiodiffusion, sauf que, advenant que Radio-Canada et les postes privés ne puissent s'entendre sur les conditions de la diffusion des émissions de la radio d'État, la question serait soumise à la Commission de régie en vue d'une décision finale.

24.   Radio-Canada se chargerait toujours de l'exploitation de ses postes et de ses réseaux, mais le tarif exigé des radiodiffuseurs privés pour la transmission par ligne terrestre de leurs émissions ou de celles de Radio-Canada serait subordonné à la décision de la Commission de régie en cas de désaccord. (Les articles 10 à 20, inclus, de la loi de la radiodiffusion, régiraient, mutatis mutandis, l'exploitation de Radio-Canada.)

25.   Le Bureau des gouverneurs de Radio-Canada serait remplacé par un Bureau composé de trois administrateurs et du président de Radio-Canada. Les membres de ce Bureau d'administration seraient désignés par le gouverneur en conseil qui les choisirait en tenant compte de leur sens averti des affaires et de leur habileté administrative, pour représenter l'ensemble des contribuables et pour aider le président à maintenir les opérations de Radio-Canada à un niveau économique et efficace, en considérant aussi les raisons fondamentales de l'existence de Radio-Canada à titre d'organisme d'État, c'est-à-dire : favoriser l'unité nationale et répandre la compréhension entre les diverses parties du pays; diffuser des émissions qui aideront la nation à parvenir à la maturité; épurer le goût; encourager l'étude des arts, des lettres et des sciences, et contrebalancer l'influence de certaines émissions commerciales de caractère frivole en provenance des États-Unis, en les remplaçant peu à peu par des émissions canadiennes acceptables.

AUTORITÉ DU MINISTRE DES TRANSPORTS

26.   Radio-Canada et la Commission de régie projetée seraient responsables vis-à-vis le ministre des Transports qui exercerait tous les pouvoirs que lui confèrent la loi du radiotélégraphe, ainsi que les paragraphes 4 et 5, article 22, et l'article 24 de la loi canadienne de la radiodiffusion, sauf que les propositions relatives à la demande d'un permis pour l'établissement d'un poste privé ou d'État seraient transmises au ministre par la Commission de régie et non par Radio-Canada, comme c'est actuellement le cas.

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27.   Le permis délivré par le ministre à un poste de radiodiffusion serait valable pour cinq ans, sujet sur recommandation de la Commission de régie, à la suspension pour inobservance d'une disposition essentielle de la loi canadienne de la radiodiffusion ou d'un règlement essentiel promulgué sous l'empire de cette loi, ou bien de la loi du radiotélégraphe ou de ses règlements d'application.

COMPOSITION ET FONCTIONS DE LA COMMISSION DE RÉGIE DE LA RADIODIFFUSION ET DE LA TÉLÉVISION

28.   La Commission de régie de la radiodiffusion et de la télévision se composerait de cinq membres désignés par le gouverneur en conseil, et possédant ces aptitudes:

        Le président serait un homme possédant l'esprit judiciaire et une vaste culture générale qui lui permettraient de juger de la qualité des émissions radiodiffusées ou télévisées au Canada.

       Trois membres, respectivement proposés au gouverneur en conseil par le ministère des    Transports, la Société Radio-Canada et la Canadian Association of Broadcasters.

       Le cinquième membre, sans attaches particulières, devrait être un éducateur ou un ancien éducateur possédant une vaste culture générale, ainsi que la connaissance pratique de la pédagogie et de la psychologie.

29.  Les membres de la Commission de régie devraient être rémunérés suffisamment pour qu'ils puissent consacrer tout leur temps au travail de la Commission. Dès leur nomination à la Commission, ils devraient abandonner tout autre lien ou intérêt dans le domaine de la radiodiffusion et de la télévision. La Commission de régie serait aidée, pour l'exécution de sa tâche consistant à assurer des émissions satisfaisantes et un programme d'émissions bien équilibré au Canada, par des conseils consultatifs régionaux composés de façon à représenter convenablement les différentes parties du Canada, ainsi que les disciplines fondamentales des arts, des lettres et des sciences. La Commission de régie pourrait tirer ses fonds des droits annuels de transmission que verseraient tous les postes de radiodiffusion et de télévision.

30.  On ne prévoit pas que la Commission de régie exerce ses pouvoirs sur les émissions d'une façon autocratique; on pense plutôt que, grâce à la persuasion et à la discussion avec les représentants des postes de radiodiffusion, elle relèverait la norme générale des émissions diffusées au Canada, en vue de favoriser l'unité nationale, de cultiver le goût artistique de la population, de fournir des divertissements bien équilibrés, d'encourager l'étude des arts, des lettres et des sciences en général, et plus particulièrement des problèmes économiques et sociaux qui se posent à la na-

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tion. Le pouvoir que recevrait la Commission de régie pour suspendre le permis de tout poste de radiodiffusion, par suite de la violation ou de l'inobservance du règlement édicté par la Commission ou de tout ordre que lui donnerait la Commission, devrait être utilisé avec discrétion et après un avis suffisant donné au poste ou aux postes en cause.

POUVOIRS DE CONTRÔLE DE LA COMMISSION PROPOSÉE

31.   Les fonctions de contrôle de la Commission de régie seraient, mutatis mutandis, ceux qu'énumèrent les articles 21, 22 et 24 de la loi de la radiodiffusion. La Commission de régie serait autorisée à adopter les règlements existants ou à en promulguer de nouveaux.

32.   Les règlements que la Société Radio-Canada (qui serait remplacée par la Commission de régie) est autorisée à promulguer, et énumérés à l'article 22, peuvent se résumer ainsi :

a) réglementation de l'établissement de réseaux;
 
b) réserve par les postes privés de périodes pour la diffusion d'émissions de Radio-Canada;
 
c) réglementation de la nature de toutes les émissions diffusées par Radio-Canada ou les postes privés;
 
d) restriction du temps consacré à la publicité et réglementation de la nature de la réclame diffusée soit par Radio-Canada soit par les postes privés;
 
e) stipulation du temps consacré aux émissions de caractère politique par les postes de Radio-Canada ou des radiodiffuseurs privés, et répartition équitable entre les partis et les candidats rivaux.

Selon le paragraphe 2 de l'article 22, tout désaccord entre Radio-Canada et les radiodiffuseurs privés au sujet de la radiodiffusion ou de la télévision des émissions de Radio-Canada serait soumis à la Commission de régie plutôt qu'au ministre, comme il arrive maintenant.

PÉRIODE DE TRANSITION

33.   Afin de permettre à la Commission de régie de compléter son organisation, les changements apportés à la loi canadienne de la radiodiffusion n'entreraient en vigueur que trois mois après l'adoption de la loi modifiée par le Parlement et la sanction du gouverneur général. Dans l'intervalle, la Société Radio-Canada continuerait à exercer ses fonctions actuelles seulement dans les affaires courantes, sans prendre de décision importante qui porterait atteinte au statu quo. En attendant la mise en vigueur de la loi, la Commission de régie devrait, pour ce qui est des émissions de Radio-Canada, s'entendre avec des représentants de Radio-Canada et, pour ce qui est des émissions des postes privés, s'entendre avec des représentants de la Canadian Association of Broadcasters. En même temps, il y aurait lieu d'examiner les règlements existants en vue d'aplanir les désaccords possibles.

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EXAMEN DES OBJECTIONS SOULEVÉES CONTRE LA CRÉATION D'UN ORGANISME DE RÉGIE INDÉPENDANT

34.   Les principales objections soulevées par mes collègues contre la proposition que j'ai présentée, il y a quelques mois, en faveur de la création d'un organisme de régie indépendant comme celui dont il est question dans les pages précédentes, se concentrent pour ainsi dire, toutes dans les paragraphes 36 et 37 du chapitre XVIII, dont je cite ci-dessous les passages pertinents, accompagnés d'un rappel:

« Nous avons étudié ces propositions et sommes d'avis qu'elles auraient pour effet soit de diviser et de détruire le régime national actuel de réglementation, soit simplement de le dédoubler. »

DESTRUCTION, DIVISION, DOUBLE EMPLOI

35.   La crainte qu'un organisme indépendant détruise la radio nationale vient de l'hypothèse que les radiodiffuseurs privés seraient libres, sous le nouveau régime, de s'entendre avec les réseaux américains ou avec des postes américains indépendants, comme aussi de constituer et exploiter des réseaux privés. Les dispositions prévues aux pages qui précèdent empêcheraient les radiodiffuseurs privés d'agir ainsi sans obtenir au préalable l'autorisation d'un organisme impartial de l'État, c'est-à-dire de la Commission de régie de la radiodiffusion et de la télévision projetée. La seule différence avec l'état de choses actuel tiendrait à ceci, que la Commission de régie prendrait la place du Bureau des gouverneurs de Radio-Canada et, en cas de désaccord, déterminerait le tarif de diffusion des émissions commanditées ou complémentaires de Radio-Canada, par les postes privés affiliés. La Commission de régie règlerait également tous les désaccords qui se produiraient entre Radio-Canada et les radiodiffuseurs privés.

36.   Diviser ? Certainement : afin d'assurer une meilleure répartition du travail et pour soulager Radio-Canada des lourdes responsabilités que lui impose la loi existante. Depuis l'adoption de la constitution américaine, on reconnaît qu'il ne faut confier à aucun organisme, à la fois, des fonctions législatives, judiciaires et exécutives. Pourtant, c'est exactement le cas des gouverneurs de Radio-Canada : ils ont élaboré un règlement (dont ils négligent certains articles, par exemple celui qui a trait à la diffusion d'informations déjà publiées dans un journal); ils agissent en qualité de juges et règlent les désaccords d'affaires qui s'élèvent entre les membres de leur personnel et les radiodiffuseurs privés; ils doivent administrer les budgets de Radio-Canada, du Service international (et de la Télévision, dans un avenir rapproché), comportant un dépense annuelle qui menace d'atteindre 20 millions de dollars dans deux ou trois ans. La Société Radio-Canada, libérée de ses fonctions législatives et judiciaires, pourrait se consacrer à l'exploitation de ses postes de radiodiffusion et de

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ses trois réseaux, ainsi qu'à la production d'émissions meilleures et plus variées de radiodiffusion et de télévision, en conformité des avis que formulerait la nouvelle Commission de régie.

37.   Ainsi qu'il est expliqué ci-dessus, les nouvelles dispositions ne comporteraient pas de double emploi; chaque organisme, Radio-Canada et la nouvelle Commission de régie, aurait des fonctions précises et distinctes à remplir. Les trois directeurs de Radio-Canada, qui pourraient être trois des gouverneurs actuels, auraient le devoir, en qualité de représentants des contribuables, de s'efforcer de contenir les frais dans de justes limites. Il est bien difficile à des gouverneurs à emploi discontinu de résister aux pressions enthousiastes et persuasives d'un président à emploi continu, submergé dans les détails techniques et autres de l'organisme qu'il dirige. Il est logique que le chef d'une organisation (relevant de l'entreprise privée ou de l'entreprise publique) ait tendance à étendre son activité autant que possible afin d'accroître l'utilité et l'importance de cette organisation. Que l'on n'interprète pas ceci comme une accusation contre l'habile et persuasif président actuel de Radio-Canada, mais seulement comme l'exposé d'une ambition légitime commune à tous les chefs énergiques, qu'il convient néanmoins de réprimer, surtout quand l'argent des contribuables est en jeu.

ASPECTS DE LA RADIODIFFUSION NON ÉTUDIÉS AUX AUDIENCES

38.   Sans doute, la radiodiffusion et la télévision constituent-elles deux moyens de diffusion très puissants, mais, à l'heure actuelle, psychologues et éducateurs se montrent plus alarmés de leurs possibilités nocives qu'enthousiasmés de leur valeur bienfaisante. M. H. A. Overstreet, psychologue américain bien connu, dans un récent ouvrage intitulé The Mature Mind, exprime, quant à l'effet des émissions radiophoniques sur le peuple, des idées troublantes qui sont citées ou paraphrasées ci-dessous : on ne saurait en douter, une force étonnante et nouvelle a fait son apparition sur la scène humaine. Deviendra-t-elle un nouvel élément qui contribuerait puissamment à notre maturité ? Ou bien s'accommodera-t-elle de nos immaturités au point qu'elles en deviennent plus tenaces ? Impossible de répondre simplement par l'affirmative ou la négative. La radio déverse dans nos foyers la grande musique symphonique, le compte rendu des événements qui transforment le monde, la poésie de qualité, les discours importants, le meilleur théâtre... Il serait étrange que tout cela ne s'accompagnât pas d'un accroissement de maturité (9).

39.   Overstreet fait la remarque que, pour une émission remarquable durant à peine une demi-heure ou même moins, des vingtaines d'émissions inférieures comportant la réclame omniprésente de marchandises, occupent toutes les bandes de diffusion à la journée et à la nuit longues. Dans l'ensemble, la proportion des bonnes choses, par rapport à celles qui ne

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le sont pas, n'est pas encourageante. Du point de vue psychologique, par conséquent, le niveau moyen des émissions radiophoniques trahit notre immaturité autant qu'il la favorise.

« Un des axiomes qui président à l'élaboration des programmes d'émissions est qu'il ne faut pas demander aux gens de concentrer leur attention sur une manifestation en particulier plus de quelques minutes à la fois. Cet aspect de la formule radiophonique doit être un sujet de grave inquiétude pour tous ceux qui se préoccupent du mûrissement de l'esprit humain. Un des indices de la croissance psychologique de l'être humain, de ses premières années à l'enfance et jusqu'à l'âge adulte, tient à la prolongation de la période d'attention. L'esprit non mûri saute d'un objet à l'autre; l'esprit mûri cherche à suivre une idée. Quelles que soient les autres influences que la radio puisse exercer sur notre mûrissement, elle tend à prolonger l'immaturité, la vie durant, par la constante invite à produire des esprits sautillants »(10).

40.   Un autre écrivain, dont les idées au sujet des moyens d'information collective touchent à notre étude, M. Gilbert Seldes, publiait, en octobre 1950, un livre intitulé The Great Audience, dont nous extrayons les commentaires qui suivent à propos des émissions américaines (11). Dans un chapitre intitulé : A Nation of Teen-agers (Nation d'adolescents), Seldes prétend que la ligne de conduite adoptée pour la réclame par tous les moyens de diffusion tend à perpétuer un certain infantilisme d'esprit et à empêcher la maturité. La philosophie de la réclame est simple: « Les jeunes gens ont normalement devant eux une plus longue période de vie que les autres. S'ils prennent dans leur jeunesse l'habitude d'acheter une revue, un rouge à lèvre ou une crème à barbe, ils resteront, en théorie, des clients profitables jusqu'à la fin de leur vie. Si vous les attirez jeunes, ils vous resteront plus longtemps  ». Il faut garder les gens jeunes, même s'ils vieillissent. On s'efforce donc de cultiver en permanence l'esprit adolescent. Aucun des moyens d'information qui s'adressent à la masse ne laisse entendre aux gens de trente ou quarante ans qu'ils peuvent, en toute sécurité, lire un livre, discuter de politique, se préoccuper de la délinquance juvénile, être jurés, gagner leur vie ou écrire au directeur d'un journal : toutes ces actions et mille autres sont des stigmates de maturité et ne doivent être pratiquées qu'en secret, si même on peut se les permettre. Dans quatorze millions de foyers où la radio est installée, on ne lit aucune revue; les familles ayant la télévision lisent moins de revues que les autres; la moitié des adultes d'Amérique n'achètent jamais de livres (12) .

41.   Le philosophe de la vie raisonnable nous exhorte: « Soyons franchement humains, contentons-nous de vivre par l'esprit ». La vie adulte est la vie que l'homme moyen peut mener, si on ne l'en empêche pas. Mais il en est empêché si on l'incite sans cesse à ne pas abandonner les choses enfantines, à éviter les affreuses conséquences d'une vie adulte et consciente. Les moyens employés pour retarder la maturité disposent

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d'énormes capitaux; les entreprises qui profitent de notre venue à l'âge de raison sont relativement peu nombreuses. Il n'y a aucun intérêt matériel mobilisé en faveur de la conquête de la maturité, bien que la maturité de ses citoyens soit l'intérêt primordial de la nation. « Prêchez, cher monsieur, écrivait Jefferson, une croisade contre l'ignorance ». Il pourrait ajouter maintenant « et contre l'immaturité » (13)

42.    Je me suis permis d'extraire, de paraphraser et de citer un certain nombre de passages tirés des livres de Mlle Waller, de M. Overstreet et de M. Seldes, parce que j'y ai trouvé l'expression d'un point de vue que je partage et qui y est bien mieux exprimé que je ne saurais le faire. En outre, il est évident que l'avis de ces spécialistes aura plus de poids que celui d'un ingénieur. J'ai cité ou paraphrasé plusieurs passages de ces ouvrages parce qu'ils exposent les aspects du problème de la radiodiffusion qui n'ont pas été soulevés à nos audiences, mais qui ont une importance vitale et fondamentale en matière de radiodiffusion et de télévision, au Canada, en tant que la question de notre maturité y est en jeu. Les observations de Mlle Waller, de MM. Overstreet et Seldes, il est vrai, ont trait à l'état de choses existant aux États-Unis, mais il existe une similarité suffisante entre les deux pays pour qu'elles s'appliquent ici. En outre, rien n'indique qu'on ait accordé au Canada une attention et une étude suffisantes à la nécessité de hâter le passage de l'adolescence à la maturité. Les extraits et citations qui paraissent ci-dessus révèlent les lourdes responsabilités qui incomberont à l'organisme indépendant de régie chargé de la tâche, non seulement d'arbitrer les désaccords entre Radio-Canada et les radiodiffuseurs privés, mais aussi de la mission plus difficile d'élaborer un programme satisfaisant et bien équilibré d'émissions de radio et de télévision pour le Canada. Il est évident que le groupe d'hommes sur qui retombera cette double responsabilité ne devrait pas avoir à remplir l'autre double fonction qui consisterait à exploiter les réseaux de Radio-Canada et à produire les émissions que proposerait la nouvelle Commission de régie.

OBJECTION DE CARACTÈRE GÉNÉRAL À L'INSTITUTION D'UN ORGANISME

INDÉPENDANT DE RÉGIE

43.   Dans le paragraphe 37, chapitre XVIII du Rapport, mes collègues ont commenté de la façon suivante les suggestions qui ont été faites en faveur de l'institution d'une Commission indépendante de régie :

« Mais, dira-t-on, cet organisme aurait le pouvoir d'améliorer et non de détruire. Il pourrait s'intéresser aux émissions des postes d'État et des postes privés, tout en s'efforçant de les améliorer toutes dans l'intérêt public. Bien que cela puisse sembler possible en principe, nous doutons que, dans la pratique, cet organisme puisse avoir quelqu'efficacité. »

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Les opinions de MM. Overstreet et Seldes que j'ai citées plus haut ainsi que les arguments qui ont été exposés dans les paragraphes précédents indiquent que les fonctions à remplir sont si importantes, diverses et parfois même contradictoires, qu'elles ne peuvent être menées à bien par un seul organisme. Il y a un énorme travail à faire pour Radio-Canada, à titre d'organisme dirigeant un réseau étendu de postes, de même que pour l'organisme de régie proposé à titre d'arbitre entre Radio-Canada et les radiodiffuseurs privés et comme conseiller auprès des poste d'État et des postes privés en matière de programmes appropriés. Je ne partage pas les opinions exprimées par mes collègues à la fin du paragraphe 38, chapitre XVIII, lorsqu'ils prétendent que l'organisme indépendant de régie dont on suggère la création devrait traiter tous les postes selon les mêmes normes. De toute évidence, ce nouvel organisme devrait se montrer plus exigeant, quant à la qualité des programmes, envers les postes d'État qu'envers les postes privés, puisque ces derniers doivent s'assurer des revenus suffisants pour payer leurs frais d'opérations alors que la Société Radio-Canada n'a pas les mêmes préoccupations, puisqu'elle peut compter sur le gouvernement pour combler ses déficits. Je pense que l'organisme de régie tel que suggéré constituerait une amélioration sur la situation présente non seulement en ce qu'il représenterait un arrangement plus juste pour les parties en présence, mais aussi en ce qu'il aiderait à résoudre l'autre problème également important qui consiste à apporter plus de variété en même temps que plus de qualité dans les émissions radiodiffusées au Canada.

LE PROBLÈME FINANCIER RADIO-CANADA

44.   La Société Radio-Canada a déclaré qu'il lui faut une somme annuelle de $14,200,000, ainsi répartie :

 

Dépenses courantes $ 7,500,000
Somme nécessaire pour maintenir les services  
aux niveaux actuels 3,000,000
Amélioration et extension des services 2,200,000
Production de nouvelles
émissions pour remplacer des émissions  
américaines peu désirables 1,500,000
   
  $14,200,000

Il faut évidemment accorder à Radio-Canada les sommes dont elle a besoin pour maintenir un service satisfaisant de radiodiffusion et de télévision, afin d'atteindre les buts que lui fixe la loi canadienne de la radiodiffusion. Bien que les dépenses de Radio-Canada paraissent modérées en regard de celles de la B.B.C., la Commission ne sait pas si l'exploitation de Radio-Canada est efficace, ni s'il ne résulterait pas de grandes économies de l'abandon des programmes commerciaux aux producteurs privés.

*Extrait de : Canada. Commission royale d'enquête sur l'avancement des arts, lettres et sciences au Canada. Rapport. Ottawa : Imprimeur du roi, 1951. Reproduit avec la permission du Bureau du Conseil privé.

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